Vendange tardive

De passage à Avignon pour affaires familiales, je profite de l’occasion pour appeler une amie d’enfance située à Châteauneuf-du-Pape, à quelques vingt kilomètres de là.
Maquée depuis seize ans à un viticulteur qui joint l’éthyle à l’agréable et mère de deux marmots, Marion m’offre le gîte et le couvert pour la nuit à venir, ce que j’accepte volontiers.
J’arrive à la propriété en début de soirée, mon hôte m’attend sur le pas de porte de son mas provençal dont les volets vert jade sont déjà clos.
- Les enfants dorment, Stéphane décuve…
- Ah ? J’aurais bien aimé papoter un peu avec lui.
- Pour qu’il te parle de la formation des terrasses alluvionnaires ou des vertus de la molasse burdigalienne entre deux gorgées de Picpoul de Pinet…Tu rates pas grand-chose, crois-moi. File poser tes affaires à l’étage, j’ai fait des endives au jambon, c’est bientôt prêt. On va pouvoir ressortir les vieux dossiers et trinquer aux vieilles amitiés !
Mon sac déposé dans la chambre d’ami, je redescends dans la cuisine où Marion s’affaire aux fourneaux. Des affiches pittoresques ornent les murs de la pièce : « Vos pétrodollars ne valent pas notre pinard ! », « Boire un canon c’est sauver un vigneron ! », « Un seul ennemi : la soif ! ».
Le repas achevé, on part poursuivre la soirée devant la cheminée du salon, dont l’âtre flamboie joyeusement. On bavarde moins qu’on rigole sottement, nos têtes bien étoilées par les degrés de la bouteille de rouge vidée et de la seconde entamée. Au détour d’un silence longuet et d’un échange de regards troubles, on s’emballe comme deux possédés, on se défrusque frénétiquement.
Notre partie de cul terminée, on constate muettement les dégâts : les coussins du sofa maculés de vin et souillés de foutre, le tapis en soie végétale auréolé d’une large flaque.
- Tu parles d’une vidange…
- Toujours aussi poétesse.
- T’as raison. Parlons plutôt d’une belle vendange. Faut dire que ça faisait longtemps…
- Que Stéphane t’avait pas baisée ?
- Que j’avais envie que tu m’baises. Steph, ça fait longtemps qu’il a plus accès à la cuve. Allez, file te coucher, t’as d’la route demain. J’vais nettoyer tout ça.
Au petit matin, je trouve Stéphane dans la cuisine, clope au bec et tasse à la main. Les présentations faites, il m’informe de l’absence de Marion, partie conduire les mômes en classe. Prétextant mon trajet routier, je remonte, m’empare de mon sac et prends congé du vigneron. Tandis que les pneus crissent sur le gravier blanc de la cour, la silhouette massive de Stéphane me dispensant de généreux gestes d’adieu s’estompe au fur et à mesure dans le rétroviseur central.