Mauvaises habitudes

Assis seul à la terrasse du Franc-tireur, une brasserie du nord-ouest parisien, je profite d’un soleil printanier qui peine à faire son trou entre deux cumulus taille mammouth. Tout occupé à parcourir les colonnes d’un quotidien, l’iPhone de ma voisine de table vient m’extirper de ma lecture.
- Une alerte sonore familière…Ça mord sur Tinder ?
- À pleines dents ! » me répond-elle embarrassée mais souriante, en tripatouillant son portable.
L’entente s’installant rapidement, Emma m’explique alors son envie de rencontres classiques après des mois de rapports tarifés sur des sites d’escorting.
- Remplir son compte en banque c’est chouette, se vider de sa substance, ça l’est moins…L’adrénaline de l’enveloppe blanche garnie de billets verts-jaunes-mauves, ça va un temps. Besoin de désirer l’autre, de tout mon être. Envie de réciprocité sensuelle, d’une sentimentalité normale.
Tandis qu’on enchaîne les cafés en se narrant nos aventures 2.0, son téléphone claironne non-stop.
- Désolée, des clients un peu trop fidèles. Ma batterie va bientôt lâcher, faudrait que j’aille la recharger. J’t’offre un verre chez moi ? J’habite à deux pas, un studio riquiqui sous les toits mais paraît-il plutôt cosy.
Sitôt dans sa maison de poupée, Emma me chope à pleine bouche, les mimines tout affairées à me délester de mon jean.
- Envie de me sentir pleine. De ta langue, de tes doigts, de ta queue.
- Tant que c’est pas de mes pépètes…
C’est aux aurores, suite à une nuit d’intense culbute que je m’apprête à quitter la piaule exiguë.
- Tu restes pas ? C’est dimanche…On pourrait s’endormir ensemble pour mieux se réveiller l’un l’autre.
- J’préfère pioncer seul…Sale habitude que j’ai prise.
- Je comprends.
Après un bref passage aux gogs situés sur le palier, communs à tout l’étage, je salue Emma et me tire.
Sur le trajet du retour, alléché par l’odeur de viennoiseries tout juste sorties du fournil, je m’arrête à La mie dorée, ma boulangerie de quartier. À l’instant de passer en caisse, je découvre mon larfeuille vide, démuni du moindre billet. Au fond du compartiment pièces, un bout de papier griffonné coincé entre quelques malheureux cents : « Les vieilles habitudes ont la vie dure...☺».