Causerie suspensive

En quête d’un nouveau nid depuis plusieurs mois, j’enquillais les visites d’apparts sans jamais m’exalter pour l’un d’eux, aucun ne comblant mes attentes, ne parvenant à satisfaire mes exigences. Exigences qui, selon Laurence ma négociatrice immobilière, tenaient davantage du cahier des charges d’assemblage aéronautique que de la check-list d’usage de proprio en devenir.
D’abord d’une froideur hitchcockienne, Laurence, une blonde quadra’ au style bourgeoise banlieusarde, avait finit par se détendre au fil de nos rendez-vous infructueux. Elle s’amusait à présent de mon insatisfaction chronique et chaque visite s’achevait désormais d’un p’tit noir au café du coin.
Ainsi, un mardi fin d’après-midi, sur une des banquettes du Havane, un troquet d’une rue du 3ème, elle me pique entre deux gorgées :
- Vous et vos chimères foncières !
- J’préfère parler d’espérances esthétiques…
- Si vous voulez…Et dites-moi, c'est pareil avec les femmes, vous êtes dans le pinaillage perpétuel ? À votre âge, croire encore au coup de foudre relèverait plus de l’immaturité crasse que d’un charmant idéalisme.
Chauffé par sa verve sentencieuse, je l’atomise d’un scud scabreux :
- Détrompez-vous, à ce niveau j’suis plutôt coup d’foutre que coup d’foudre. Pas d’attentes particulières, plutôt du genre à faire le tour de la propriétaire au pas d’charge qu’à contempler l’état des lieux et inspecter les finitions…Et tant pis si les murs craquèlent ou la peinture s’écaille.
- Au pire un rapide coup d’pinceau, c’est ça ?
- Ou bien d’marteau-piqueur. À voir en fonction d’l’état des cloisons.
On termine nos tasses bouche cousue et quand on se sépare au métro, c’est d’une poignée de main hâtive.
Le lundi suivant, un dénommé Antoine me contacte par téléphone. Négociateur nouvellement recruté, maintenant en charge de mon dossier, il me propose la visite d’un "bien d'exception tout juste mis sur le marché qui pourrait bien m’intéresser".