À bonne distance

Sophie, ma voisine du dessus, celle que j’avais tant convoitée sans l’avoir jamais besognée, avait fini par vider les lieux. C’est une autre voisine, bien moins baisable, qui m’avait appris la nouvelle au détour d’une conversation lors d’un trajet en ascenseur.
Pour moi la peine était double : au regret de la savoir partie pour de bon s’ajoutait la déception qu’elle n’ait pas pris la peine de m’avertir de son départ.
Au fond, rien d'étonnant ; notre relation n’avait jamais rien eu d’intime. Nos rapports s’étaient la plupart du temps bornés aux salutations de rigueur ponctuées d’une esquisse de sourire. Tout au plus avions-nous parfois échangé sur un fait plus ou moins mineur survenu dans l’immeuble : un cambriolage estival, un résident indésirable, un ravalement trop onéreux ; pas davantage. Mais j’accusais quand même le coup et décidais dans la foulée de ne pas en rester là.
Ses coordonnées en poche - un soir d’assemblée générale, assis à ses côtés et le crâne plein d’arrière-pensées, j’avais proposé l’échange de nos numéros au cas où -, je la textais le soir même afin de reprendre contact.
Elle me répondit sans tarder, et, sans doute sous l’effet de la distance géographique nouvellement accrue entre nous, se révéla étonnamment entreprenante.
« Partie sans dire au revoir c’est vrai….Je tiens à me faire pardonner. Venez demain pour 20h30. Nous trinquerons à mon nouveau nid. Confirmez-moi, je vous communiquerai l’adresse. »
Le lendemain, je me pointe à l’horaire convenu au nouveau bercail de Sophie. Tout en déposant la bouteille de Brouilly achetée au caviste du coin sur la table basse du salon, je jette un œil autour de moi. Une déco chargée orne l’endroit : des bibelots bariolés peuplent les étagères en nombre, de même que pléthore de cadres photo, numériques pour certains. Dans un recoin, empilés pareils à des remparts anti-névrotiques, j’aperçois trois montagnes de livres, qui au vu de leurs titres, semblent exclusivement consacrés au développement personnel : « Ces hommes qui ne savent pas aimer », « Tremblez mais osez », « Trop intelligent pour être heureux », etc.
Celle dont les talons, qui quand ils martelaient le parquet, aiguillonnaient mon désir, se révèle sous un jour nouveau, bien trop prosaïque à mon goût. Saturé d’informations excessivement tangibles, ma fougue fantasmatique vacille. Le caquetage intempestif de Sophie n’arrange rien : la bulle libidinale dans laquelle je me plaisais à la voir flotter se désagrège en un instant tandis que mon envie se carapate aux confins de contrées bien moins concrètes.
Sans doute trop apathique au goût de mon ancienne voisine, elle me congédie d’un bâillement après deux-trois verres descendus.
De retour à mon domicile, encore sonné par ma débâcle, je manque de renverser une femme au moment de garer ma tire dans le parking de l’immeuble. Sitôt sorti du véhicule, je m’excuse d’un air déconfit.
- Rien de cassé, rassurez-vous…Ou alors une ou deux assiettes…Mais un déménagement sans bris, je crois que ça n’existe pas ! » me lance d’une voix légère la brune dont même la pénombre du parking peine à masquer les courbes incendiaires.
À ses pieds, un carton éventré laisse à peine entrevoir quelques effets personnels.