Rite estival

Derniers jours d’août à Paris. Parfum de rentrée dans l’air saturé du périph’. Quand je sors porte de la Chapelle, c’est un autre fumet que j’inhale : celui d’une foule jamais partie. Un peu plus haut, vers Marx Dormoy, les effluves sont encore tout autres : fête de Ganesh oblige, la communauté indienne du quartier célèbre son dieu-éléphant en grande pompe : en tête de la parade multicolore, défilent des joueurs de flûte. Danseurs et danseuses en tenue traditionnelle ondulent tout sourire, sur leur tête un pot de terre cuite où brûle du camphre. Les statues de Ganesh et de son frère Muruga sont portées de leurs autels aux chars sur d’imposants palanquins. Dans la rue, purifiée avec de l’eau de rose additionnée de safran, des hommes et des femmes vêtus de saris et vestis tirent les chars au moyen de cordes. D’autres encore défilent en récitant des mantras, accompagnés dans leurs incantations d’instruments traditionnels.
C’est les cinq sens exacerbés que je sonne à la porte du studio de Célyne, une blondinette croisée aux abords d’une guinguette éphémère en début d’été. Elle m’accueille vêtue d’une robe noire légère, ses pieds nus tout juste vernis, en témoigne l’odeur entêtante de dissolvant qui flotte dans la pièce. Dans ses yeux, je lis la gêne, la déconvenue.
Nos verres remplis, on trinque maladroitement, on bavarde tant bien que mal. À la faveur d’un énième silence, je crève l’abcès :
- Déçue ? T’as pas l’air réjouie d’ma présence…
- C’est juste que j’étais un peu éméchée, le soir de notre rencontre…Dans mon souvenir, un peu brumeux du coup, t’étais le portrait craché de mon ex…Au final pas tant qu’ça.
- Ah…Et c’est un problème ?
- Bah disons qu’il était vraiment mon style, physiquement...Bon, sinon...Tu m'avais dit aimer les bas, mais ma seule paire restante est filée par endroits..Et vu que c’est la fin du mois…J’ai d’autres priorités, comme des clopes par exemple ; on descend me prendre un paquet si ça t’gêne pas.
Sur le boulevard, les festivités se poursuivent. Sa Fortuna au bec, Célyne zieute les fringues et breloques exposées sur les stands installés pour l’occasion le long du trottoir. Une bague retient son attention, la vendeuse en profite :
- Bijou serti rhodonite…Rose très beau…Nacré...Pierre anti-stress….Plus d’énergies négatives….Cicatrise blessures du cœur….Émotions du passé….Très bon prix, 40 €.
- J’connais un cicatrisant bien moins cher : le temps ! On rentre chez moi ? propose Célyne, m’attrapant la main, la serrant fermement.
De retour dans sa petite piaule, c’est volets clos et toutes lumières éteintes qu’on s’envoie bruyamment en l’air. Entre deux râles, des notes de nâgasvaram accompagnées de battements de thavil résonnent sourdement dans la chambre.