Les soeurs bicyclette

C’est à « La Pharmacie », un resto-bar à vin de son quartier, que Leslie m’a fixé rencard. Arrivé sur place à la bourre, je l’aperçois postée devant la façade bleu azur. Une bise de circonstance plus tard, on investit les lieux ; Leslie se glisse sur la banquette, je prends la chaise en bois verni.
- Chouette, ces vieux pots d’officine sur les étagères en guise de déco ! Simplement dommage qu’ils soient vides…
- Pourquoi, t’es toxico ? Une addiction quelconque ?
Déconcerté par la question et l’inquiétude que j’y détecte, j’embraie sur un thème plus léger, l’amie commune qui nous a mis en relation. Nos plats commandés et un verre de rouge dans le gosier, je sens mon interlocutrice rentrer progressivement les griffes. Le repas va bon train, la fin de soirée s’annonce faste.
Tandis que le serveur nous débarrasse de nos assiettes, je vois Leslie rouler des yeux, le regard rivé derrière moi. Elle est encore bouche bée quand une brune s’approche de la table.
- Ma sœur-un ami…Un ami-ma sœur.
- Ravie. Je vous laisse dîner tranquillement, belle fin de soirée à vous deux…conclut la fille avant de s’éclipser au bar.
Sans passer par la case dessert Leslie improvise une migraine, demande aussitôt l’addition. Celle-ci à peine déposée sur la table, elle s’en empare, dégaine sa carte, règle la note. On sort du restaurant comme s’il fallait l’évacuer.
Groggy par la tournure soudaine des évènements, je reste à l’observer enlever l’antivol de son vélo.
- On se refait ça vite, promis…
- …De préférence dans mon quartier ?
- Voilà, acquiesce t-elle d’un sourire crispé suivi d’une embrassade sommaire.
Sitôt Leslie hors de vue, je pousse de nouveau la porte de « La Pharmacie » et rejoins la sœurette au bar. Toujours en mode solo, elle m’accueille d’une mine contrite, un verre de coca à la main.
- Je vous ai vus partir précipitamment…La faute à ma présence, sûrement. Et en plus Leslie vous plante là…Un verre pour expier ma faute ?
- Faut croire que vous lui faites autrement plus d’effet que moi…Va pour le verre.
Irène m’explique alors que son alcoolisme forcené, même si désormais derrière elle, l’a définitivement éloignée de sa famille. Leslie incluse.
- Le fait qu’on habite le même coin et qu’on se croise régulièrement n’arrange évidemment rien…Mais je ne vais pas m’interdire de sortir, qui plus est dans des lieux sympas, à cause d’elle. J’avais mes habitudes ici…Je tâche d’en prendre d’autres à présent.
Minuit bien passé, Irène et moi vidons les lieux bons derniers. Sur le trottoir, je tente ma chance sans conviction :
- J’imagine qu’un dernier verre n’est pas de mise…
- Je l’ai vidé il y a un bail, celui-ci...En plus avec le rencard de ma sœur…J’ai déjà bien assez donné dans l’amour du vice, tu crois pas…J’rentre en Vélib’, tu m’accompagnes à la borne ?
Quelques minutes plus tard, je fixe le phare arrière d’Irène s’enfoncer dans la nuit.