Sous vide

Cloitré chez moi plusieurs semaines suite à un accident de brèle, le jour vint finalement où je retrouvais la pleine forme. Pour fêter la fin de ma quarantaine, je décidais de sauter sur la première occasion de sortie : le vernissage d’une connaissance au coup de pinceau tendance dans le milieu arty-bobo de la capitale. On trouvait sur ses toiles pêle-mêle les visages d’enrôlés DAESCH accolés à des corps de nymphes, des armes de destruction massive siglées H&M, des dirigeants d’ONG hilares barbotant dans une mare de merde…De la provoc’ Leader Price vendue à un tarif Hédiard. Chapeau l’artiste.
Entre deux échanges mollassons et quelques retrouvailles pénibles au détour d’une croûte exposée, Louise m’avait tapé dans l’œil. Constamment dans le sillage de son mec, j’avais eu un mal fou à accrocher son regard, perdu dans le vague, imprégné d’un ennui profond comme le trou de la sécu’.
Histoire de l’aborder façon futé, j’optais pour une approche furtive et rôdais autour du buffet installé pour l’occasion ; elle finirait bien par venir remplir sa coupe ou se ravitailler en bouchées lard-pruneau et autres feuilletés saucisse-chèvre.
Banco.
- Vous connaissez l’artiste ? » demandais-je, une gougère à moitié boulotée entre les doigts.
Tournant la tête, elle scruta mon visage comme pour me remettre.
- Moi non. Mon mari oui. Il connaît probablement la plupart des gens présents ici ce soir. Et vous ?
- Si je connais l’artiste ?
- Non. Vous. Suis-je censée vous connaître ?
- Ah…Non, pas que je sache. Et aux dernières nouvelles, votre mari non plus. » rétorquais-je, moins surpris par sa question que par ma réponse.
La réplique dut la contenter car elle me gratifia d’un sourire blanc comme les touches d’un Steinway.
- Vous profitez donc d’un vernissage pour entreprendre une parfaite inconnue, mariée qui plus est. Désœuvrement mondain ou forte envie de me sauter ?
- Je fais partie de ces gens qui ne s’ennuient jamais…
- …Et qui en veulent toujours plus, apparemment. Vous avez bien vu que je n’étais pas seule.
- J’ai au contraire pu observer à quel point vous l’étiez.
- De l’allure, de l’esprit…De l’audace aussi ? Rejoignez-moi dans dix minutes au rez-de-chaussée de l’immeuble. On trouvera bien où s’isoler.
Deux coupes de champagne picolées et le laps de temps écoulé, je retrouve Louise deux étages plus bas, adossée à la porte des toilettes femme. Enfermés, on s’emballe à s’en asphyxier tout en se défroquant dare-dare.
- Maintenant baise-moi.
- Désolé de casser l’ambiance de notre petite contre-soirée mais j’ai pas de préso sur moi. Tout ça c’était pas dans mes plans, je me remets à peine d’un acci-…
- Pas grave, prends-moi.
- Ce serait quand même plus réglo avec ma queue sous vide, nan ?
- Le « sous vide », comme tu dis, j’en ai ma claque. C’est l’histoire de ma vie.
- C’est toujours mieux de vivre sous vide que sous trithérapie…
- Je veux te sentir pleinement. Me sentir pleinement.
De retour dans le hall d’immeuble souffle court et membres pantelants, je m’apprête à vider les lieux quand Louise me retient par le bras.
- Tu remontes avec moi cinq minutes ? J’aimerais te présenter mon homme ; un personnage, il te plaira.
- L’hygiéniste qui t’maintient sous vide ?
- Difficile de lui en vouloir...Dans sa famille, ils le sont de père en fils. Et puis c’est bien connu, le sous vide conserve parfaitement…Je pense que tu l’as constaté. Bon, tu décides quoi ?
Je décline l’offre poliment et m’en retourne à l’air libre.