Sélection naturelle

Encore un matin, un matin pour rien. Enfin si, pour 3 points. Comme la dizaine de gus en passe d’avoir leur papier rose sucré, j’écoute avec plus ou moins d’attention l’instructeur debout face à nous énumérer les facteurs-risque de mortalité sur la route. Le temps d’une pause café, je sympathise avec ma camarade de droite, une motarde d’origine colombienne.
- Chez vous, on punit pour rien…
- Chez vous, on zigouille pour rien…
- Zigouille ?
- Tue.
- Jaja, c’est la sélection naturelle, ça.
- Bah voyons, Darwin version Escobar.
Le lendemain je lui propose un verre, histoire de fêter la fin du stage de rattrapage et nos capitaux points regonflés. Elle accepte et m’entraîne à la Candelaria, un bar du centre de Paris à l’ambiance latine où elle semble avoir ses quartiers.
Nos voix couvertes par la musique – une pop brésilienne fadasse - ont du mal à porter, sa mauvaise maîtrise du français et mes vagues notions d’espagnol n’arrangent rien ; la conversation se délite au fil de nos bredouillements hurlés. Je pare à la gêne mutuelle en filant chercher des tacos à la taquería dans la salle attenante.
À mon retour, je la retrouve à bavasser avec un de ses compatriotes ; elle m’introduit d’un bref mouvement de bras et repart dans la discussion. Mordant dans mon taco, j’observe impuissant le type marquer crânement son territoire : carrure d’athlète, gueule d’ange et voix profonde ; drôle de surcroît si on en juge par les éclats de rire d’Andréa. C’est plus lever la patte mais carrément poser sa pêche.
- Mario propose d’aller danser au Barrio, tu suis ?
- J’crois bien que j’vais passer mon tour…
- Porqué ?
Je réponds d’un haussement d’épaules, elle acquiesce d’un air entendu, on se sépare sur le trottoir d’un ¡hasta pronto! diplomate. Sur le trajet du retour, le flash d’un radar embarqué vient m’illuminer dans la nuit.

Danse macabre

C’est bouche bée que je gare ma brèle devant l’ « Hôtel Première Classe Paris Est » de Drancy. Murs décrépis, fenêtres crasseuses, enseigne aux lettres déglinguées, le tout situé en bordure d’une voie rapide : ici on manie mieux l’humour que la raclette à vitres.
Une styliste polonaise connue sur un réseau social et venue à Paris pour un quelconque salon fashion m’attend derrière la porte 108 ; je toque à l’heure convenue.
Le teint pâle, les yeux d’un bleu polaire, la girafe slave me sert un verre de rouge qu’elle me tend d’un bras longiligne et d’un air emprunté.
- J’imagine que ça vient pas du minibar…
Elle glousse entre deux gorgées.
- Oui, tu as vu….Pardon pour le décor mais j’ai choisi l’hôtel le plus proche du hall d’exposition. J’avais peur de me perdre.
- Apparemment, pas de te faire violer.
- Tout dépend du violeur. » lâche t-elle d’un air frondeur, mordillant sa lèvre inférieure.
Nos envies rassasiées et nos fluides déversés, elle vient se blottir dans mes bras et me lance d’un accent prononcé :
- Tu l’avais déjà fait avec une polonaise ?
- C’est vrai, t’es polonaise…Juive ?
- Nooooooo » s’exclame t-elle d’une intonation horrifiée et d’une moue dégoutée.
- Ah, tu les aimes pas…
- Qui les aime, dis-moi ?
- C’est vrai qu’dans ton pays, fait pas bon s’app’ler Isaac. En tout cas, t’as bien choisi pour ton hôtel. Drancy, tu pouvais pas rêver mieux.
- Pourquoi ?
- Pour rien. On danse ? » dis-je en saisissant mon iPod et lui tendant un écouteur.
Nos corps collés, encore brûlants, tournent lentement sur eux-mêmes au son d’un piano cristallin.
- C’est beau…C’est quoi ?
- Un Nocturne de Chopin. Joué par Wladyslaw Szpilman, le pianiste de Polanski.
- Je connais pas ce groupe. C’est vraiment très beau. » murmure t-elle, lovant son visage dans mon cou.
Derrière la vitre de la chambre, Drancy scintille dans la nuit.