Danse macabre

C’est bouche bée que je gare ma brèle devant l’ « Hôtel Première Classe Paris Est » de Drancy. Murs décrépis, fenêtres crasseuses, enseigne aux lettres déglinguées, le tout situé en bordure d’une voie rapide : ici on manie mieux l’humour que la raclette à vitres.
Une styliste polonaise connue sur un réseau social et venue à Paris pour un quelconque salon fashion m’attend derrière la porte 108 ; je toque à l’heure convenue.
Le teint pâle, les yeux d’un bleu polaire, la girafe slave me sert un verre de rouge qu’elle me tend d’un bras longiligne et d’un air emprunté.
- J’imagine que ça vient pas du minibar…
Elle glousse entre deux gorgées.
- Oui, tu as vu….Pardon pour le décor mais j’ai choisi l’hôtel le plus proche du hall d’exposition. J’avais peur de me perdre.
- Apparemment, pas de te faire violer.
- Tout dépend du violeur. » lâche t-elle d’un air frondeur, mordillant sa lèvre inférieure.
Nos envies rassasiées et nos fluides déversés, elle vient se blottir dans mes bras et me lance d’un accent prononcé :
- Tu l’avais déjà fait avec une polonaise ?
- C’est vrai, t’es polonaise…Juive ?
- Nooooooo » s’exclame t-elle d’une intonation horrifiée et d’une moue dégoutée.
- Ah, tu les aimes pas…
- Qui les aime, dis-moi ?
- C’est vrai qu’dans ton pays, fait pas bon s’app’ler Isaac. En tout cas, t’as bien choisi pour ton hôtel. Drancy, tu pouvais pas rêver mieux.
- Pourquoi ?
- Pour rien. On danse ? » dis-je en saisissant mon iPod et lui tendant un écouteur.
Nos corps collés, encore brûlants, tournent lentement sur eux-mêmes au son d’un piano cristallin.
- C’est beau…C’est quoi ?
- Un Nocturne de Chopin. Joué par Wladyslaw Szpilman, le pianiste de Polanski.
- Je connais pas ce groupe. C’est vraiment très beau. » murmure t-elle, lovant son visage dans mon cou.
Derrière la vitre de la chambre, Drancy scintille dans la nuit.