Le manteau blanc

Un vendredi matin glacial qu’un pâle soleil d’hiver éclaire. Rencard en plein Marais avec une californienne connue sur Craigslist, un site communautaire ricain. Son couple en ballotage défavorable, elle a délaissé son boyfriend et leur Sacramento natal pour venir passer quelques jours dans notre bonne vieille capitale, accompagnée d’une de ses sœurs.
C’est seule qu’elle se pointe au café où l’on cause à bâtons rompus en vidant nos tasses de grand crème.
Tandis que la flotte vient s’abattre sur les vitres du bar, je propose une expo pas loin ; elle accepte du bout des lèvres. Direction la Galerie du Crédit Municipal de Paris pour aller reluquer les tirages argentiques d’un photojournaliste français. Sur le trajet je prends sa main, elle se laisse faire pour finalement lâcher la mienne quelques secondes plus tard d’une mine un peu déconfite.
Comme on contemple les clichés, elle se fige l’air décomposé devant l’image d’une blonde diaphane vêtue d’un long manteau blanc, shootée en plein sprint dans la rue, semble t-il à son insu.
- J’envie cette femme…
- T’es pas mal non plus dans ton genre, va…
Elle esquisse un morne sourire qui vire au rictus résigné.
- C’est pas ça…Moi je suis du genre à laisser mon manteau blanc accroché sur un cintre au fin fond du dressing…Du genre à ne jamais le mettre, de peur de le salir.
- Bah c’est juste une photo, tu sais…
- Pour moi c’est un état d’esprit.
On termine l’expo rapidement, sans un mot. De retour dans la rue, la pluie nous accueille à grosses gouttes ; on file s’abriter sous un porche. Échauffé par la soudaine promiscuité, j’emballe mon amerloc qui me rend pleinement mon baiser.
- On prend une chambre dans un petit hôtel du coin ?
- C’est très tentant…
- Très français…
- Très « manteau blanc ». Ma sœur va s’inquiéter, je vais rentrer.
On échange une étreinte furtive puis elle disparaît dans la foule, ramassée sous son parapluie.