Haine de soi, sexe et piñata

Quand je débarque à l’Abraham González International Airport de Juárez, Mexique, c’est le crâne en cavale, l’esprit qui fuit la peine, la perte. Valeria, une vieille amie connue en France depuis retournée au pays, m’a invité pour quelques jours histoire de changer d’atmosphère, de reprendre un peu d’air.
Au contrôle d’immigration je tends mon passeport yeux baissés, le regard encore imbibé de l’alcool bu durant le vol, généreusement versé par une hôtesse compréhensive. Sitôt la douane passée et ma valise récupérée je cherche du regard Valeria, censée m’attendre aux arrivées.
Vingt bonnes minutes plus tard, elle arrive en courant et s’excuse d’un sourire radieux ; les préparatifs de l’anniversaire de sa fille ont pris plus de temps que prévu.
Il est à peine 15 heures, je propose d’aller fêter mon arrivée dans un bar de la ville. Valeria bougonne mais accepte. Direction la Fragua, un troquet couleur locale.
On trinque à la tequila. Valeria trempe à peine les lèvres, j’ingurgite le breuvage d’un trait et commande la même chose. Le poison doré fouette mon sang, chauffe à blanc mon mal-être, feinte ma libido. Je me déverse en confidences sinistres et aveux salaces. Perchée sur son tabouret, ses longues jambes croisées, le menton calé dans la paume, Valeria m’écoute en silence.
De retour dans sa caisse, je l’emballe grossièrement, la doigte sans ménagement. Moins par envie que par pitié, elle me laisse faire, simule timidement un orgasme.
Quand elle se gare devant chez elle, une vision d’angoisse m’assaille : une immense maison familiale bordée d’un jardin verdoyant, le tout décoré pour l’occasion. Des arbres aux fenêtres, cotillons, ballons et fanions ornent superbement le lieu.
J’ouvre ma portière d’une main moite et, titubant, entre dans le décor de rêve. Suspendu à une branche, un objet aux couleurs criardes attire mon regard.
- C’est quoi ce truc ? On dirait l’virus du sida.
- T’es pas loin…C’est la piñata traditionnelle : un récipient en terre cuite, censé symboliser le diable, surmonté de sept pics ; chacun représente un péché capital. On la frappe chacun son tour, les yeux bandés. Une fois brisée, elle libère cadeaux et bonbons. 
- La victoire du bien sur le mal...
- Exactement ! Viens, je te fais visiter et te montre ta chambre.
- Si ça t’fait rien j’reste un peu dehors pour dessaouler.
- Pas de problème.
Sitôt Valeria hors de vue, rictus aux lèvres je me saisis du bâton à proximité, ferme les yeux et tourne sur moi-même. Tandis que chancelant je fends l’air avec mon gourdin coloré, un hurlement strident suivi de braillements enfantins interrompt mon combat d’ivrogne. Quand j’ouvre les yeux, une gamine cartable à la main me pointe du doigt, ses yeux mouillés rivés vers sa nounou interloquée. À quelques mètres, la piñata pend fixement.