Inventaire

Jour de semaine, la soirée est bien entamée. Blabla sur une appli' dating, nouveau fléau qui pullule sur les téléphones comme les tapins au bois de Boulogne.
Le courant passe vite et bien avec la fille derrière l’écran, une gérante de boutique de fringues ; je propose de se voir.
- J’suis d’inventaire ce soir, ça risque de durer…Mais viens me tenir compagnie, enfin si ça te dit…Ce sera plus sympa…Apporte de quoi trinquer.
Une heure plus tard je toque du pied dans la porte, les mains pleines d’une bouteille de rouge, d’un tire-bouchon ainsi que de deux verres à vin. La fille s’amène, conforme à sa photo : petite blonde aux grands yeux marrons. Sourires mutuels à travers la vitre.
Elle fait jouer la serrure,  d’une courbette de bras m’invite à rentrer puis s’en retourne fissa tapoter derrière son comptoir.
Je nous sers, tchin-tchin, elle siffle une bonne gorgée. On se raconte un peu nos vies pendant qu’elle poursuit sa besogne.
- Alors dis-moi, si toi aussi t’y allais de ton inventaire ?
- C’est-à-dire ?
- Tu sais bien…Côté nana ; fais moi ton p’tit bilan.
Tandis que je lui narre quelques rencontres tantôt sympas tantôt pénibles, elle va et vient des cartons déballés à son écran d’ordinateur, ponctuant régulièrement mes phrases d’approbations furtives, histoire de signifier qu’elle écoute.
En plein milieu d’une anecdote, elle me coupe brusquement :
- Merde, cette référence…Je crois que j’l’ai compté deux fois !
- Ah ?
- Et ouais…Ça t’arrive jamais, toi, quand tu fais l’inventaire de tes coup d'un soir, de réaliser que t’as compté deux fois la même ?
Perplexe, je la fixe. Les grands yeux marron virent au noir.
- La Souris Verte, rue Marcadet. Ensuite j’t’ai fait monter chez moi. Y’a deux ans. Ça t’parle ?
Regard fuyant, bredouillant des excuses vaseuses, je vais pour la resservir. Elle m’envoie ce qu’il lui reste au fond du verre en plein visage.
- Prends tes verres et barre-toi. Laisse la bouteille.
Je file terminer la soirée au fin fond d’un grec. Seul dans la salle, attablé devant mon plateau, je farfouille en vain dans mon crâne tout en tortillant mes frites froides.