Conflit ordinaire

Un samedi soir sur la terre, comme dirait le poète. Rencard au cœur du 19ème, dans un bar, rue de Palestine ; pas banal pour un ashkénaze. Un poil superstitieux, tout en roulant vers ma bande de gazon je pressens un terrain miné.
Quand je l’aperçois au comptoir, je reprends des couleurs ; conforme aux photos envoyées, la fille tient toutes ses promesses : brune typée aux yeux verts, un nez aquilin mais en belle harmonie avec les traits de son visage.
À peine assis, nos verres remplis, ma bombe me mitraille de questions quant à mes envies conjugales. L’impression d’être un agent du Mossad aux mains du Hamas. Tentatives d’intimidation – « Pas marié à ton âge, tu l’vis comment ? », de soudoiement – « Je me donne totalement à un mec qui me prouve en valoir la peine », d’endoctrinement – « J’avais un ami comme toi, sa paternité l’a transformé »…Tout y passe. Mes réponses laconiques l’amusent.
- T’attends ton avocat ? Il viendra pas tu sais…
- J’ai bien compris que tout ce que je dirai pourra être et sera retenu contre moi…Pas vrai ?
- Pas faux. Allez, j’arrête la séance de torture.
Je me penche, vais pour l’emballer, elle recule d’un coup sec.
- Je suis déjà pas satisfaite de tes réponses à mes questions…Tu penses pouvoir faire mieux au lit ?
- C’est un tout autre territoire…
- …Déjà bien occupé. » m’assène t-elle tout en se levant, la note entre les doigts.
Planté sans sommation, je finis mon verre gorge nouée puis quitte le bistrot tête baissée.