Comme des bêtes

J’ouvre une paupière amorphe, déchiffre l’heure à mon poignet : 15h. Trois jours sans décoller du lit, passés à baiser, boire, bouffer.
Depuis la salle de bain, S. me lance :
- Tu m’emmènes à Vincennes ? Le zoo vient de rouvrir ses portes, envie d’aller voir ça ! Et puis ça nous f’ra une sortie ; la vie d’ado attardé c’est sympa, mais bon...
Je grogne un ok sans envie.
Arrivés sur place, une queue monstre nous indique l’entrée. On rejoint le troupeau qui patiente dans une étuve à ciel ouvert.
Autour des jambes de leurs parents, des gosses cavalent, gueulent, tombent et chialent. S. prend ma main, je serre les dents, regarde ailleurs. Une môme obèse, fardée comme un lémurien et dont le string dépasse de moitié, lape désespérément sa glace ; peine perdue, le soleil cogne sur les boules molles, le t-shirt moulant trinque et la mère lui beugle un sermon.
S. me serre un peu plus la main.
Devant nous, un fossile à voix chevrotante radote son impatience tout en cherchant des yeux une oreille charitable. Deux vieilles biques tentent de resquiller ; lunettes de soleil taille XL, survêts fluo, cheveux couleur lavande : des ricaines. Un couple d’homos les rabroue dans un franglish maniéré. Malaise dans le rang, un gamin se met à brailler. Les débris made in USA finissent par détaler tout en bêlant dans leur langue.
Une trentaine de minutes plus tard, on est toujours à piétiner quand un moustachu riquiqui aux traits porcins vient annoncer la fermeture. Les gosses hurlent à la mort, les parents aboient leur colère tandis que la file se disloque façon bétail épars.
- Pas trop déçue ?
- Tu rigoles, j’ai eu mon compte de ménagerie…J’suis même certaine que c’était mieux qu’à l’intérieur...Parce que c’est quand même bien moins déprimant que d’en voir en captivité…
Je me marre, S. conclut :
- …Viens, on rentre et on baise. Comme des bêtes.