Plaisir et douleur à Villejuif

Quand j’arrive en bas, le taxi est déjà là.
- Bonsoir…
- Bonsoir m’sieur. On va où ?
- Roussy.
 Cinq minutes plus tard, le chauffeur me lance en baissant la radio :
- Terminal ?
- Pas encore mais ça devrait pas tarder…
- Hein ?
- Bah vous me demandez si c’est terminal…
- Ben oui, quel terminal ?
- Ah…Non mais pas Roissy…ROUSSY. La Mecque des cancéreux.
- Aïe aïe aïe…J’suis désolé m’sieur » conclut-il en rehaussant le son.
Arrivé sur place, je passe au Relais H histoire de lui faire le plein de revues potins, pioche un polar au pif  et puis  une barre chocolatée pour moi. Dans l’ascenseur, ultime sas de décompression, je fais le vide d’idées noires et mentalement endosse mon costume de bouffon baiseur.
J’inspire / expire à fond, déglutis un bon coup et pousse la porte de la chambre.
Le corps infesté de tuyaux, elle m’esquisse un rictus d’usage. Elle aussi compose. Tous deux pareils à des acteurs usés de rejouer la même pièce chaque soir.
Je récite  joyeusement mon texte, donne des nouvelles de la famille, enjolive au besoin. Elle hoche la tête à chaque fin de phrase tout en frottant d’un doigt livide la télécommande d’appel au personnel soignant.
- Et tes chéries ? Une nouvelle ? Raconte un peu…
Le moment qu’elle préfère. Celui durant lequel elle rira de bon cœur en écoutant religieusement mes aventures de pineur noctambule, quitte à se gondoler et du coup raviver le mal.
Je pars dans une anecdote rabelaisienne, choisissant soigneusement mes termes ; à l’extrême lisière du vulgaire mais sans jamais quitter le champ lexical du fleuri.
- …Et puis elle avait de ces seins…Seul souci, aussi mous que maousses…J’avais l’impression de téter une paire de testicules…J’comprends mieux qu’les nanas rechignent.
Elle pouffe, crachote, reprend son souffle.
- Bon…Et celle dont tu m’avais parlé la dernière fois...À l’hygiène douteuse…?
- Ah ouais…Bah fausse alerte en fait, pas d’poux d’pubis à signaler ; j’suis bon pour reprendre du service chef !
Je la regarde glousser, tousser, passer de plaisir à douleur. À  l’image de mes niques nocturnes.

Jeu de patience

Lorsque j’entre dans le salon, la nana me briefe :
- Fais gaffe au puzzle en cours par terre ; mes mômes sont chez leur père pour le week-end, j’ai promis qu’on le finirait lundi soir.
« 3500 pièces » indique la boîte renversée. Du lourd.
Elle nous sert un rosé bien frais, pas du luxe par cette chaleur nocturne. Abruti par la moiteur ambiante, je l’écoute me narrer ses rencontres sur le site où nous nous sommes connus tout en lorgnant vers le puzzle incomplet dont j’essaie de deviner l’illustration. Quand mon regard revient sur elle,  je constate ses jambes décroisées, sa jupe relevée. Et l’absence de culotte.
- T’avais si chaud que ça… 
Je vais pour m’agenouiller entre ses cuisses, elle me stoppe net.
- Tu comptes faire quoi ?
- Bah…te lécher ?
- Je ne suis pas certaine d’en avoir envie…
- Pourquoi avoir décroisé les jambes alors ? tu savais bien que ta jupe allait remonter…
- Histoire d’être à l’aise, simplement.
- Bon…
- Fais pas cette tête…C’est compliqué une femme tu sais.
- …On poursuit le puzzle ? ça avancera tes gosses…
- L’idée me plaît !
Deux heures plus tard, à quatre pattes, elle pose la dernière pièce tout en me toisant d’un air de gamine pas peu fière.  Assis en tailleur derrière elle, je glisse lentement le majeur dans  sa fente. Tandis qu’elle se cambre à l’extrême, j’observe le puzzle achevé : un château de cartes.
Profitant des fenêtres ouvertes, une brise tiédasse s’invite et vient souffler son air humide.