Histoire naturelle

- Claire, enchantée.
- Xavier, ravi.
- Photos sympas. Ça mord sur le site ?
- Pas vraiment…Rien d’étonnant tu me diras, quand on pêche à la dynamite…
- J’en déduis que t’as du feu sur toi…Tu viens m’allumer ma clope ? mon briquet m’a lâché.
Quand je sonne chez elle en pleine nuit, on en est là : dans un brouillard fantasmatique.
Lorsque la porte s’ouvre, la brume virtuelle se lève sur un décor de cabinet de curiosités : des bestioles empaillées partout. Aux murs et sur les mobiliers, toutes trônent dans des postures glaçantes.
- Et donc t’empailles…Une vocation ?
- Taxidermiste ? Clairement. Redonner un peu d’vie aux morts, j’aime ça. Et ce feu ? 
Elle est déjà penchée sur moi, une cigarette entre les doigts.
Je sors un paquet d’allumettes qu’heure après heure elle vide tandis qu’on bavarde et s’enivre sous les regards perçants de ses colocataires crevés. Elle me questionne sur mon vécu, je lui déroule par le menu ma vie sans attaches amoureuses, sans ambitions sentimentales.
- Au final, ça me plaît assez de t’avoir sur mon canapé : tu te fonds bien dans le décor.
- Ah ?
- Si t’y réfléchis deux minutes, t’es pas vraiment différent d’eux : d’aspect vivant, l’intérieur raide et refroidi.
Trop vanné pour une belle riposte et flairant le sermon qui fleure bon la bien-pensance de comptoir, je vais pour me lever, rentrer.
-. J’vais pas tarder ; j’suis mort.
- T’as les mots, toi. C’est maintenant que j’interviens. Suis-moi jusqu’à la chambre, j’ai une place toute trouvée pour toi.
On quitte la pièce un peu chancelants, matés par la faune inerte, enfumée.