Tchao Tchaïkovski

Une sirène de voiture de flic me tire de mon sommeil. Le temps d’ouvrir un œil, le bruit bleu s’est évanoui, parti s’enfoncer dans la nuit.
Derrière moi, une voix de grosse fumeuse gronde :
- Connards de poulets…Ça les fait bander d’allumer leur gros gyrophare.
Des relents d’alcool macéré sur une langue pâteuse viennent me faire froncer les sourcils. Je tâtonne, trouve mon téléphone, et balaie de l’écran mon côté du lit histoire de savoir où je suis.
Posés sur la table de nuit, un radio-réveil poussiéreux ainsi que d’ignobles babioles parmi lesquelles une boule à neige.
Dans le globe de plastique au parterre blanc poudré, une danseuse de ballet me fixe d’un sourire Walt Disney. Immobile sur le bout des pointes, ses membres sont gracieusement tendus ; tout comme la peau de son cul, probablement.
Je m’empare du bibelot, actionne son remontoir et lui inflige quelques secousses. Les flocons se propagent mollement, de même que l’air en si mineur de Tchaïkovski dans la fameuse scène d’ouverture de l’acte II du Lac des Cygnes.
Regard vaseux, sourire aux lèvres, je reste à contempler la belle toupiller sur elle-même au son du morceau grand public.
Les notes finissent par ralentir, le cygne en tutu blanc aussi jusqu’à se figer pour de bon, dos tourné.
Dans l’air de nouveau silencieux, je sens l’haleine chargée de gnôle revenir fouetter mes narines tandis qu’une paume humidifiée m’empoigne brusquement la queue.