L'ado collatéral

8 heures et des bananes, un samedi matin de janvier. Le visiophone bourdonne dans tout l’appartement. Émilie grogne, roule de son côté du lit et remonte la couette d’un coup sec : 

-       Si c’est encore une de tes conquêtes barjes qui vient régler ses comptes, je m’en occupe personnellement.

-       C’est sûrement le facteur…

-       … Qui t’apporte un colis piégé, ouais.

Je titube jusque dans l’entrée. À l’écran du visio, je distingue le visage de Tom, le fils de Marina, mon ex.

-       C’est bien la Poste. Je descends.

Arrivé dans le hall, je trouve le gosse assis à même le sol, adossé à la pierre du mur.

-       Bah qu’est-ce que tu fais là, mon grand… À cette heure-ci t’es pas censé être en route pour ton cours de natation ? 

-       J’ai préféré venir de te voir. 

-       Si ta mère apprend ça…

-       Quand t’as rompu avec maman, tu m’as dit de pas hésiter à te joindre si j’en avais envie. 

-       C’est vrai mais… Bon, laisse tomber. Écoute, je remonte passer un blouson et on file prendre un petit-déj’ au café d’à côté. C’est bon pour toi ? 

-       Oui, c’est super.

Sitôt revenu à l’appart’, Émilie m’intercepte :

-       Le postier mon cul. Je vous ai vus sur le visio. C’est qui ce gosse ? 

-       Tom…

-       Le gamin de Comme j’aime ? 

-       Yes. Et arrête de l’appeler comme ça.

-       Génial. Si les mômes de tes ex s’y mettent. Et pour le surnom, j’y peux rien si elle a du gras. 

-       T’es chiante. C’est un enfant, il va pas bien. Fous lui la paix. Je l’emmène boire un chocolat, j’en ai pas pour longtemps.

-       Mais merde, sois pas naïf. C’est probablement sa mère qui l’a missionné.

Sans prendre la peine de rétorquer, je redescends fissa.

Quelques minutes plus tard, installé sur la grande banquette en skaï, j’observe Tom mordre dans son croissant. 

-       Alors, dis-moi tout mon bonhomme.

-       Ben j’suis triste que tu sois plus là. Les repas, les soirées, les week-ends… tout est moins drôle. Même les devoirs avec toi, ça me manque. 

-       C’est vrai qu’on a eu de supers moments. On a bien joué, bien rigolé… Et j’ai aimé te voir grandir, t’apprendre tout un tas de trucs. Et tu m’en as appris aussi.

-       Ah ouais ? Quoi… ?

-       …Quoubé, par exemple.

-       Haha. Et tout ça te manque pas, à toi aussi ?

-       Bien sûr que ça me manque. Mais désormais tu connais un peu les adultes et leurs histoires compliquées, leur lot de problèmes ennuyeux. 

-       Mais tu m’as toujours dit que chaque problème avait sa solution.

-       C’est vrai. Mais y’a parfois trop de problèmes. Et à force, on finit par s’épuiser à chercher toutes leurs solutions.

-       Ok. Tu sais, maman est triste aussi. Elle pleure souvent. Elle se cache mais j’entends.

Je repense aux dires d’Émilie, que j’évacue dans la foulée.

-       C’est normal d’être triste après une rupture. Pour que ça passe, il faut du temps.

-       T’es triste aussi, toi aussi ? 

-       Tout cette situation est triste alors oui, forcément je le suis aussi.

-       Moins que maman je pense. Elle m’a dit que t’avais une nouvelle amoureuse.

Je serre les dents, déglutis un bon coup.

-       Là encore, c’est la vie des adultes mon grand. Des hauts, des bas, des rencontres, des séparations… T’as bien le temps de découvrir tout ça. 

-       Y’a aucune chance que tu reviennes ?

-       Dis-toi une chose : je serai toujours là pour toi. Tu m’appelles, tu viens quand tu veux. Bon, préviens un peu avant quand même, histoire qu’on s’organise ! Et surtout n’hésite pas, pose toutes les questions qui te passent par la tête. 

-       Ça marche.

-       Bon, j’imagine que c’est mort pour ton cours de natation. On va faire un tour à la Fnac ? Si t’es toujours dans les mangas…

-       Grave ! 

De retour à l’appartement pour récupérer un second casque de scoot’, je trouve Émilie allongée dans le canapé, portable en main, un mug de thé fumant sur la table.

-       Alors ?

-       Je l’emmène à la Fnac.

-       Et après tu fais quoi ? une demande d’adoption ?

-       Ça va.

-       Je te l’ai toujours dit, tes ex auront ta peau. D’une manière ou d’une autre, chacune à leur façon, elles hantent ta vie et nous pourrissent au quotidien. Bref. À ton retour, pense à prendre le courrier.

Rentré en fin de matinée après avoir déposé Tom chez lui, j’ouvre la boîte aux lettres. J’y trouve une lettre des impôts, une enveloppe siglée BNP, un colis Amazon à l’adresse d’Émilie ainsi qu’un prospectus Comme j’aime.

Sexe, mensonges & idéaux

La femme se leva et partit. 

Salomé resta seule à table, face à sa tasse de café crème. Elle la regarda s’éloigner, dans sa robe portefeuille rose clair, courte, nouée à la taille. Sidonie était grande, élégante, bien mieux foutue qu’elle et savait marcher en talons.

Un peu plus de deux heures durant elles avaient parlé calmement, échangé sans acrimonie à propos d’Elliott, conjoint de l’une, amant de l’autre.

Cocue mais résolue, c’est Sidonie qui avait initié l’entrevue, la veille au soir par téléphone. D’abord surprise, ensuite méfiante, craignant une rencontre-traquenard, Salomé avait finalement consenti à la rejoindre au Marigny, un troquet rue des Batignolles. 

Là, elle l’avait longuement écoutée plaider sa cause, celle de son couple, de sa famille. Ensemble depuis près de 15 ans, 3 enfants dont 1 en bas-âge, bien évidemment des problèmes, des ras-l’bol, des envies d’ailleurs, mais rien d’insurmontable, tout du moins à ses yeux. Alors en ce lundi de juin, sous un cagnard de saison, dans un air parisien saturé de particules fines, de crissements de pneus, de klaxons, elle sommait courtoisement Salomé de prendre ses distances, de s’éloigner d’eux, de leur couple, de les laisser tranquille.

Terminant son café à petites gorgées, Salomé bouillonnait. Elle songeait aux propos d’Elliott quant aux raisons qui l’avait poussé à franchir le pas de l’adultère, à la voir deux fois par semaine dans des chambres d’hôtel de luxe, le temps de fiévreux 5 à 7.

Comme une conne, et parce que ça l’arrangeait bien, elle avait tout gobé : la séparation imminente, les 10 kilos de grossesse pris jamais perdus, leur vie intime inexistante, les projets d’avenir à l’arrêt… Elliott l’avait bien baladée. Elle héla le serveur, lui commanda un verre de blanc. 

Deux autres verres plus tard, histoire de se changer les idées et de se mettre au frais, elle choisit de se faire une toile dans le cinéma d’à côté. Il était encore tôt, dans les eaux de 17 heures 30, aucune séance intéressante ne commençait avant un bon moment. Seul s’apprêtait à débuter un navet français, Les vengeances de maître Poutifard, avec un casting à se pendre, Christian Clavier et Isabelle Nanty. Un peu pétée, désabusée, elle se prit un billet plein tarif ainsi qu’un bucket de popcorn, sucré, taille moyenne. La salle était déjà bien pleine. Elle s’installa au dernier rang, à côté d’un quadragénaire venu voir le film en famille.

Au bout de 45 minutes, alors que Clavier déguisé en plombier Nintendo s’excitait aux commandes d’une grue, elle sentit la cuisse du papa venir frotter contre la sienne. Elle eut une pensée pour sa femme, pour Sidonie, pour les enfants des deux foyers et, à l’instant de lui en mettre une, se ravisa in extremis, se leva, sortit de la salle.

Dehors, il fait toujours aussi chaud. Les pneus continuaient de crisser, les particules fines de voler et les klaxons de s’exciter. Quant à Elliott, aux mecs maqués, ils continueraient de tromper. Le monde parfait n’existait pas, était-ce pour autant une raison pour accentuer sa perdition ? 

Assise sur sa selle surchauffée, elle supprima son numéro sans toutefois le bloquer, soupira, démarra son scoot, disparut dans l’air pollué.

Saturday night Tinder

Rosalie s’écœurait. Ses filles à peine récupérées la veille pour une semaine de garde alternée, elle les laissait à une nounou et filait retrouver un mec dans une chambre d’hôtel de l’ouest parisien. Comme le G7 la conduisait vers Le Château Frontenac, les mêmes questions tournaient en boucle dans les méandres de son esprit, le même petit vélo cinglé pédalait bon train dans son crâne : cela disait quoi d’elle ? qu’elle était moins mère que catin ? qu’elle avait perdu tout sens commun, évacué toute moralité ? qu’elle était pareille à ces hommes et femmes 2.0 qui couchent comme on reprend de l'air, qui marchandent leur corps et leur chair pour un peu d’égo reboosté, qui consomme du cul bon marché un peu comme n’importe quelle denrée ? 

Oh et puis zut, elle avait passé la journée avec Clémence et Capucine, elle pouvait bien s’accorder un peu de temps pour elle ce soir. 

Elles avaient fait l’ouverture des Galeries Lafayette, dévalisé les corners Maje, Mango, Urban Outfitters, pris un lunch chez Ladurée, ensuite passé l’après-midi au parc Rothschild, où leur copine Éléonore fêtait ses 11 ans. Pendant ce temps, elle s’était fadé les autres mamans près de trois heures durant, à papoter chiffons, soucis scolaires et crèmes de soins. Elle se sentait tellement loin d’elles, engoncées dans leurs quotidiens d’épouse dévouée, de mère modèle. Tout ça lui semblait désormais parfaitement étranger. Une autre vie. Une autre femme.

Arrivée à l’hôtel, elle s’annonça auprès de la réceptionniste puis fila jusqu’à l’ascenseur, son string Aubade trempé d’envie et ses paumes moites d’appréhension. Au fond, elle n’était pas vraiment inquiète ; elle avait vu le type en cam’, un argentin gaulé comme une statue grecque, au sourire franc, à la voix suave. Transparent sur ses intentions, il voulait prendre du bon temps lors de son séjour à Paris, une semaine en tout et pour tout. Ça la changeait des imposteurs à beaux discours et queutards masqués en tous genres qui sous couvert d’envie d’à-deux la sautaient après un resto pour la ghoster dans la foulée.

Elle quitta la chambre en pleine nuit, après six coupes de Veuve-Clicquot et trois orgasmes dont un anal, fait rarissime chez elle.

Dans le taxi du retour elle ressentit un vide immense, une peine vertigineuse, cette dysphorie si familière, l’effet cathartique de la baise qui déjà s’estompait. 

Les yeux embués, le cœur serré, elle songea à son programme du dimanche : devoirs des puces en matinée, déjeuner à Marnes-la-Coquette, chez ses parents, suivi d’une interminable balade où les reproches allaient pleuvoir, mais pour son bien ainsi que pour celui des filles, évidemment.

Déposée devant la grille de son immeuble boulonnais, elle décida de faire un tour dans le quartier avant de rentrer. Dans le fond de son sac à main, elle perçut son portable sonner, le tintement caractéristique du match sur Tinder. Ce truc était sans fin. Un aspirateur d’âmes, un abîme de désirs mort-nés, un vortex de vacuité, l’enfer sur Terre des femmes quittées.

Tandis qu’elle ressassait froidement, marchant bras croisés, tête baissée, elle se fit surprendre par Loki, le golden retriever que Nicolas, son ex, avait insisté pour garder au moment du divorce. Campé sur ses pattes arrière, le bon chien l’avait reconnue et lui grimpant dessus, tentait tant bien que mal de lécher son visage. Elle le repoussa gentiment tout en caressant son museau. À l’autre bout de la laisse, les doigts vernis d’un rose immonde lui firent deviner Amandine, la connasse de 31 ans pour qui Nico l’avait larguée. Elles se saluèrent d’un glacial Bonsoir sans même s’accorder un regard.

Quelques mètres plus loin, passant devant leur pavillon, Rosalie releva sa jupe, ôta son string encore humide, le glissa dans leur boîte aux lettres d’un sourire malicieux puis trottina sur ses talons jusqu’à son domicile, songeant que finalement, cette nuit s’achevait joliment.

Le mec bien

Sur les conseils - rarement avisés - de sa meilleure pote Déborah, Laure avait finir par dater un homme plus âgé, le frère d’Orphée, une collègue de bureau. Celle-ci lui avait vendu son cadet comme un vrai gentil, mûr à point. Un mec bien.

Le type, 42 ans, divorcé, deux enfants, était Data scientist, habitait la Garennes-Colombes et se passionnait pour la truffe. Sur les réseaux sociaux, il était membre de groupes aux noms toujours plus louches : Association des trufficulteurs lozérois, Mycopassion, Syndicat truffier de France, Truffes de Montcuq… Pire, il collectionnait les santons. Mais fatiguée des plans d’un soir, Laure était prête à quelques concessions en vue d’une histoire dite sérieuse, d’une complicité au long cours. 

Durant leur dîner en terrasse chez Livio, un italien fameux du centre de Neuilly-sur-Seine, elle avait pesé le pour et le contre : côté positif, Simon était plutôt bel homme, à l’écoute, financièrement à flot, adhérent actif d’Europe Écologie les Verts et non-fumeur depuis toujours. Revers de la médaille, il était chiant à se flinguer. Toute la soirée, elle avait dû meubler à coups de questions en rafales auxquelles il répondait d’un mot. Elle avait terminé par papoter comprimés Nicorette et patchs anti-tabac avec le couple de lesbiennes de la table voisine.

Au sortir du resto, un brin pompette et prise de court par son initiative, elle s’entendit répondre why not pour aller boire un verre chez lui. 

Dans son break Peugeot 308, elle songeait à Seb, son amant de 31 ans, à leur dernière soirée chemsex. Cela faisait combien de temps qu’elle n’avait rien fait sans planer ? MD, ecsta, coke, kétamine… elle avait pris le pli de baiser et jouir sous substances et s’il voulait la faire hurler, Simon allait devoir trimer.

Arrivée chez lui, elle s’enfila trois shots de Zubrowka puis lui réclama du vin rouge. À table, elle avait déjà sifflé à elle seule les trois-quarts du Château La Pointe, un Pomerol aux notes de fruits noirs, d’épices, de pain grillé, aux tanins élégants, racés, selon le sommelier.

Là, affalée dans le canapé, les yeux mi-clos, elle observait Simon, flairait toute son appréhension mais commençait enfin à lui trouver un peu d’esprit et sentait le désir monter. Une demi-heure plus tard, face à son trac de circonstance, elle finit par prendre le lead

Sa langue à peine passée sur son gland circoncis - il était membré comme un morse, elle s’en réjouit -, Simon vint dans une plainte aiguë.

Ressorti de la salle de bain après avoir fait sa toilette, c’était le terme exact qu’il avait employé, il prétexta une rando’ truffe & VTT le lendemain matin du côté de Champagne-sur-Oise pour la congédier poliment. 

Vexée, pétée et restée sur sa faim, Laure décampa et texta Seb depuis la banquette du Uber, sans succès. 

Avant de sombrer sur son lit encore à moitié habillée, un arrière-goût de foutre en bouche, son womanizer à côté, elle se jura de stopper net les rencards arrangés, les mecs dits biens car plus âgés et l’alcool pour s’encourager.

L'écharpe brune

C’était du temps de MSN, AOLYahoo! Messenger, ces logiciels passés depuis sur l’autre rive du web.

Yaël vivait rue Fragonard et, plus par flemme de ressortir à 22 heures passées que par envie d'inviter un parfait inconnu à domicile, elle m’avait accueilli chez elle sur fond de Myths of the Near Future, le premier album des Klaxons alors tout récemment sorti.

J’étais reparti au matin, réalisant sur le périph’ – le vent glacé fouettant mon cou – l’oubli de mon écharpe brune, souvenir cher à mon cœur, cadeau confectionné des mains de mon défunt grand-père. 

De retour dans mon studio, j’avais trouvé notre fenêtre tchat Meetic ouverte sur l’écran de mon moniteur Packard Bell : ton écharpe est restée chez moi, excuse en cashmere toute trouvée pour que tu viennes remettre ça.

Les jours, semaines avaient passé, nos envies s’étaient fait la malle, diluées dans d’autres discussions, étiolées dans d’autres liaisons.

Un an et des poussières plus tard, on s’était finalement revus un soir de printemps 2008 dans son nouvel appart’ cossu de la place du Venezuela. Ses cartons même pas déballés, l’écharpe oubliée attendrait. 

À nouveau, les mois, les saisons, les rencontres avaient distendu notre lien jusqu’à ce jour d’août 2015 où, de passage dans mon quartier, elle était montée pour la nuit. Juste avant de lever le camp le lendemain à l’aube, Yaël m’avait quitté d’un baiser tendre assorti d’une phrase chuchotée, Ta belle écharpe t’attend, bien pliée, au fond d’un tiroir.

Fin mars 2020, au cœur du premier confinement, je reçus un texto, illustrée d’une photo. Faute de crever du corona, je crève d’ennui. Alors je jette, je trie, je range. Ci-joint ta belle oubliée, précieusement conservée.

Mi-juin 2023, pour la cinquième fois en trois jours, un 06 inconnu au bataillon s’affiche sur mon écran tactile. Méfiant mais curieux, je décroche :

-       Bonjour... Xavier ?

-       Lui-même.

-       Je me prénomme Sarah. Je ne crois pas qu’on se connaisse. Yaël, ma soeur aînée, nous a quittés en tout début d’année. 

Sans réaction de ma part, la fille à la voix frêle poursuit :

-       En vidant son appartement, je suis tombée sur une écharpe, votre prénom et numéro écrits sur un post-it posé dessusJe crois que ma sœur adorée souhaitait qu’elle vous revienne. 

-       Vous ne croyez pas si bien dire.

-       Vous pouvez venir la chercher ou bien je peux vous l’envoyer ; comme vous voulez.

Le mercredi de la semaine suivante, en chemin pour aller bosser, je découvris une grande enveloppe dépassant de ma boîte aux lettres. J’en sortis mon écharpe, désormais doublement précieuse, et, sourire aux lèvres, larmes aux yeux, la dépliai. 

Ce 17 juin 2023, nonobstant les 28 degrés qui surchauffaient l'air parisien, je conservai l'écharpe au cou jusqu’à la tombée de la nuit.

Le jardin secret

Comme Zoé l’avait suggéré, ils s’étaient donnés rendez-vous dans un lieu public parisien aux airs de secret bien gardé. 

Ainsi, c’est un jeudi midi de juin qu’elle l’attendait, assise sur l’un des bancs en pierre du jardin Catherine Labouré, spot aussi verdoyant que méconnu du chic 7ème arrondissement.

Paper Thin Hotel de Léonard Cohen dans les oreilles, elle le vit arriver de loin, vêtu d’une chemise blanche, d’un jean brut et de baskets noires New Balance

Sous une tonnelle, face aux vignes et aux potagers, ils tâtonnèrent à coups de questions coutumières, de regards timidement lancés pour petit à petit se faire toujours plus appuyés.

Au sortir de l’endroit, il l’invita à L’Augustine, le resto du musée Rodin. Tout en dégustant sa salade Camille Claudel, elle l’écouta lui parler de son job de tech consultant, de sa passion pour les forêts - le terme exact était sylvophile, elle l’ignorait – et de ses voyages en Afrique où il rendait visite à son frère, chirurgien installé là-bas. 

C’est en milieu d’après-midi, dans un autre écrin de verdure lui aussi à l’abri des regards, le square Denys Bühler, qu’ils finirent par se rapprocher, se prendre la main, s’emballer. Les rares gens qui passaient par là les pensaient probablement ensemble et l’idée plaisait à Zoé.

En début de soirée ils prenaient un verre à la terrasse des Ursulines, un bar sans prétention niché dans un recoin de la rue Gay-Lussac, quand l’homme se mit à table. Il était en couple depuis près de dix ans et avait deux gamins. Elle fit comme si de rien, termina son spritz St-Germain puis le questionna sur ses dernières lectures et ses prochaines vacances. Décontenancé mais soulagé, le type ne se fit pas prier pour changer de sujet.

Vers 22 heures, ils marchaient rue Saint-Jacques quand Zoé l’entraîna par le bras vers l’hôtel Le Petit Paris. Elle prit une chambre pour la nuit sous les yeux médusés de l’homme. À trois reprises, il insista pour régler, elle refusa tout net.  

Comme pour se faire pardonner, il lui fit l’amour tendrement, un peu trop à son goût. Ils prirent ensuite une douche ensemble. Il la lécha sous le pommeau, la doigta jusqu’à la faire jouir de nouveau. 

Ils se rhabillèrent sans un mot, quittèrent la chambre peu après 1 heure du matin. Devant la borne de taxi, comme elle s’y attendait il proposa de se revoir dès la semaine suivante. Zoé déclina poliment, argua d’un planning surchargé et prit la route, direction son loft du 11ème.

Elle ouvrit la porte en douceur, découvrit les clés de Thomas dans le vide-poche de l’entrée. Il devait roupiller à poings fermés depuis longtemps déjà. Après s’être déshabillée, elle se glissa sous le drap tiède, roula de son côté du lit. 

Elle s’endormit en un éclair, heureuse de cette journée passée dans ces allées confidentielles, dans ces espaces verts aux allures de jolies cachotteries, dans cette chambre anonyme, dans son jardin secret.